Enseignement du Sahaja Mahamoudra
Par Lama Shérab Namdreul

vajrasattva

Hommage au Lama Racine, ultime nature de l’esprit. Hommage aux Mahasiddhas et Yogis qui nous transmettent les instructions qui permettent de réaliser le Trikaya. Cette pratique, intitulée "Sahaja Mahamoudra" a été conçue dans le cadre de l’ermitage Yogi Ling par Lama Shérab Namdreul à l'attention des méditants habités d’une véritable confiance envers les Trois Joyaux et d'un authentique engagement de la Vue Pure envers les Trois Racines, afin de s'éveiller pour le bien de tous les êtres.

Comme toute pratique du mahayana du Bouddha-Dharma, les préliminaires communs et spécifiques sont à accomplir au préalable. Ils permettent d’acquérir un renoncement certain et dissipent les entraves majeures à la stabilité et à la souplesse. Sans concentration, pas de stabilité mentale (Sct. Dhyana, tib. Samtèn). Sans stabilité, pas d’enstase. Sans concentration, il est donc peu probable d’établir le discernement de la Vue dans la contemplation et, sans le discernement, il ne peut y avoir d’expériences et de réalisation de la nature de l’esprit. Si l’effort de concentration n’aboutit pas au moins à quelques encouragements et éclaircissements, il est nécessaire de réitérer les pratiques préliminaires. Il n’est pas d’autre méthode que la concentration. La concentration est une affaire de décision et de résolution. Il n’y a pas de méthode pour l’acquérir. La concentration est la méthode qui permet de s’affranchir des schémas réactionnels et pulsionnels du karma souillé. La distraction est une affaire de paresse, de complaisance et d’inconscience. Elle est la cause du karma souillé.

Énoncé de la Vue

Mahamoudra
Le terme Mahamoudra renvoie à la réalisation qui est frappée du sceau (Moudra) de la nature ultime de l’esprit. Cette nature pénètre tous les phénomènes. Aucun phénomène ne lui échappe et de fait, ce sceau est sans limite. Ce Moudra est l’amplitude (Maha) même de la nature.
Comme il est dit dans l'Adibouddhatantra :
« Les reflets apparus de la vacuité sont la cause
La félicité apparue de l'état immobile est le fruit
La cause est frappée du sceau du fruit
Et le fruit est frappé du sceau de la cause ».
Inconcevable, il ne peut être connu comme étant cela ou n’étant pas cela. Au-delà de toute caractérité et dans la plénitude des aspects, ce Moudra est Maha.
Atemporel, il ne peut être réalisé comme revenant ou advenu. Au-delà de toute temporalité et dans le dégagement de l’expérience, ce Moudra est Maha.
Non situé, il ne peut être appréhendé ni à l’extérieur ni à l’intérieur. Au-delà de toute localité et dans la similitude de l’espace, ce Moudra est Maha.

Sahaja
Le terme Sahaja renvoie à cette nature même dans son processus de co-émergence. Traditionnellement, on distingue deux Sahaja.

1) Le Sahaja naturel qui est la nature "vajrasattva", immaculé primordial sans commencement ni fin dans la dynamique de la co-émergence (cloche et dorjé) en tous les phénomènes animées et inanimées, du samsara comme du nirvana. Ce premier est aussi appelé le Sahaja réel.

2) Le Sahaja de la félicité de la fusion que sont les quatre joies qui naissent graduellement de l'union de la Méthode et de la Sagesse.

Apparence et vide co-émergent (Nang Tong).
Connaissance et vide co-émergent (Rik Tong).
Au contact d’apparence et connaissance.
Toute expérience est félicité vide (Dé Tong).
Les deux premières co-émergences sont appelées « la vacuité qui possède le meilleur de tous les aspects ». La dernière est appelée « la Suprême Félicité » (sct. Maha-soukha).

Expériences
Les deux premières expériences de Sahaja nous ouvrent à l’émerveillement de la manifestation et à la félicité de la plénitude des aspects. Elles sont l’expression (ou émanation) de la compassion qui renvoie à la co-émergence des deux Corpus, Corpus du phénomène-même (sct. Dharmakaya) et Corpus du manifeste (sct. Rupakaya). La troisième expérience de Sahaja nous ouvre à la pureté primordiale de la (neuvième) conscience (sct. Amalajnana) qui participe du jeu des huit consciences. Elle renvoie à l’accomplissement du Corpus de la co-émergence (sct. Sahajakaya). Embrassant l’universalité de nature des phénomènes, elle renvoie à l’accomplissement du Corpus de l’essence même (sct. Sobhavikakaya). Dissipant toutes les conditions de Doukha, elle renvoie au Corpus de suprême félicité (sct. Mahasoukhakaya).

Les apparences ne sont  ni réelles ni irréelles. Elles apparaissent en dépendance (tib. Shen Gui Ouang)
Les apparences n’illusionnent pas. Elles sont base d’imagination (tib. Kun Tak pa).
Les apparences ne sont pas illusoires. Elles sont manifestes (tib. Yong sou Droub).

Pensée Non pensée (sct. Citta Acittam)
Extrait des « Questions de Suvikrantavikramin » texte attesté dans les plus anciennes Prajnaparamita.

« Le Bodhisattva connaît bien ces préjugés des êtres, préjugés issus d'une pensée erronée, mais jamais il ne suscite de pensée concernant ces méprises. Pourquoi ? Parce que la Perfection de la sagesse est exempte de pensée, et la luminosité naturelle, la pureté naturelle de la pensée ne comporte aucune production de pensée. C'est en présence d'un objet que les profanes imbéciles produisent une pensée. Le Bodhisattva qui connaît l'objet connaît aussi [le mécanisme] d’où naît la pensée. D'où naît donc la pensée? Le Bodhisattva sait que la pensée est naturellement lumineuse, et il se dit : « C'est à cause de l'objet que la pensée naît ». Ayant compris l'objet [en tant que faux], il ne produit ni ne détruit aucune pensée. Sa pensée à lui est lumineuse, non-souillée, aimable, parfaitement pure. Fondé sur la non-naissance de la pensée, le Bodhisattva ne produit ni ne détruit aucun dharma ».

La pensée n’est ni existant ni non-existant
Dans la pureté absolue, l'absence de pensée ne se trouve ni existence ni non-existence.

« Saripoutra demande alors en quoi consiste l’absence de pensée, et Subhuti répond que c'est le vide pur, l’inconcevabilité de tous les dharmas.

Les engagements

Exposé concis de la Vue
La Base (sct. Alaya) est Félicité vide. Le Chemin est la consilience de chaque instant de Doukha. Le Fruit est l’auto-libération en la Félicité vide.
Comprendre la Base est la Vue Pure excellente.
N’en rien penser est la Méditation excellente.
Ne rien négocier est la Conduite excellente.
La Vue Pure de la Base. La conscience toute ordinaire est depuis des temps sans commencement dénuée de production et cependant elle jouit de la plénitude des aspects qui est l’expression de la Vacuité d’altérité.
La Vue Pure du Chemin : Laisser aux apparences le seul sens d’apparaître. Laisser à l’esprit le seul sens de savoir.
La Vue Pure du Fruit : Voir ce qui ne peut être vu en la sphère de ce qui ne peut voir.

Les neuf façons d’appliquer le damtsik générique
Un damtsik générique : la Vue Pure, dénuée d’imputation, considérant l’union de Clarté vide.
b1) Honnêteté et fermeté
Il faut reconnaître nos endommagements, les corriger et y remédier. Sans honnêteté, on ne peut pas prendre conscience de nos projections. Sans fermeté, on finit par projeter sur le Lama, le Dharma et la Sangha.
b2) Ouverture et détente
Toute difficulté doit être abordée comme l’occasion d’un apprentissage. Toute émotion exacerbée révèle la possibilité de purification. En être capable est une question d’humilité et d’intelligence. C’est l’occasion de requérir l’enseignement personnel du Lama et d’être à l’écoute d’un seul mot, d’un seul geste ou d’un seul regard.
b3) Signification
Adopter le Damtsik signifie que nous avons confiance dans la sagesse primordiale. Vouloir appliquer ce Damtsik signifie que nous envisageons qu’il soit le seul moyen de réaliser la sagesse primordiale.
b4) Union au Lama Racine
Le Lama, les frères et sœurs vajras, tous les êtres et toute la manifestation des cinq éléments sont l’expression du Lama Racine, Dharmakaya de la nature de l’esprit.
b5) Union au Yidam Racine
Rester sans espoir-crainte dans les phases de génération et de résorption. Toutes les conceptions sont reconnues indifférenciées du Yidam.
b6) Union au Mantra
Discours mental et mantra sont de même nature. Saisie de l’un comme de l’autre n’ouvre qu’un labyrinthe inextricable de bruit et d’illusion. Unifier le son au souffle ouvre sur l’espace qui célèbre (tib. Gnakpa) l’activité du Yidam.
b7) Damtsik de l’initiation
Lors de l’initiation, nous développons les trois aptitudes. Recevoir l’initiation fait de nous l’héritier d’une transmission et nous nous devons d’être un détenteur responsable.
b8) Damtsik du Dak-Kyé
Développer la dignité du Yidam en toute situation.
b9) Damtsik factuel
Que ce soient des connexions positives ou négatives, par la pureté de notre damtsik, tous les êtres avec qui nous avons le moindre contact établissent un rapport avec le Lama Racine.

Les cinq façons d’appliquer le damtsik sur les cinq agrégats

Lama Shérab propose d'adopter une vue pure en considération des cinq agrégats pour permettre de les laisser dans l'expression de leur vacuité d'existence propre.

c1) Agrégat manifeste
La Vue Pure libre d’imputation sur les phénomènes consiste à ne pas abandonner l’aptitude mentale en l’émergence d’une apparence.
c2) Agrégat impression
La Vue Pure libre d’imputation sur les expériences, sensations et impression consiste à laisser libre l’aptitude mentale en l’émergence d’un plaisir ou déplaisir, sans en leur chercher une origine.
c3) Agrégat entendement
La Vue Pure libre d’imputation sur l’entendement consiste à ce que l’aptitude mentale de perception n’instaure aucun jugement conclusif.
c4) Agrégat réaction
La Vue Pure libre d’imputation sur les avènements mentaux et sentiments consiste à ne faire aucune appropriation qui détermine un propriété en propre et d’un sujet en propre.
c5) Agrégat conscience
La Vue Pure libre d’imputation sur les consciences consiste à abandonner toute tentative d’établir son « être » en terme d’état définitif.

Les cinq moudras (engagements aux Cinq Bouddhas) extérieur, intérieur, intime et ultime

Gourou Yoga

Par notre Refuge, Bodhicitta et notre engagement dans la pratique, nous sommes devenu un maillon du Lignage ininterrompu d’êtres qui se sont éveillé ou qui sont en phase de l’être. Nous participons de ce Lignage naturel et il nous faut recevoir l’influx de son héritage. Il faut se connecter, se mettre en Lien Racine avec le Trikaya de l’Éveil :
1) L’Émanation (sct. Nirmanakaya) de l’Éveil à travers le corps du Lama de la Lignée.
2) La Jouissance (sct. Sambhogakaya) de l’Éveil à travers le Yidam tutélaire.
3) La Réalité même (sct. Dharmakaya) de l’Éveil à travers la nature co-émergente de l’esprit (Vajradhara ou Mahamoudra informel).
On imagine au-dessus de nous le Lama Racine sous l’un des trois aspects. Puis nous recevons les quatre influx d’initiation. On peut également méditer directement l’indifférenciation du Lama Racine et de notre propre esprit en la nature du mahamoudra.

Transmission
Avant de connaître le Dharma de Sakyamouni, mes investigations spirituelles m’ont amené à pratiquer « les méditations » de Descartes puis des sceptiques grecs et des phénoménologues. Ensuite, mes affinités allaient plus dans le courant philosophique du Madyamika. Mon expérience contemplative du Yidam et du mantra me conduisit à reconnaître une compatibilité avec la Vue Shen Tong (vide d’altérité). Tout cela n’est qu’une appréciation subjective. Je laisse à chacun de faire leur expérience. Il ne s’agit pas de prôner pour supérieur telle vue plutôt qu’une autre (cf. Les vues bouddhiques), mais de pouvoir associé à tel énoncé une compatibilité avec son expérience. En cela, aujourd’hui, la vue “Sahaja” me semble la plus appropriée à ma compréhension et mon expérience que j’ai de la nature des phénomènes et de l’esprit. Je ne suis pas un érudit et mon souci est d’éclaicir l’énoncé d’une vue pour en faciliter la reconnaissance pendant la contemplation. Pour cela, il est important que l’élève s’installe dans l’intelligence de l’Écoute (cf Écoute, réflexion et méditation) qui se réfère au sens et non pas au mot et qu’ensuite il demande à quelle expérience relève ce sens. Ce dernier point est essentiel dans le processus de transmission pour qu’il y ait « reconnaissance » en l’expérience. Le Lama ne peut pas vous transmettre l’expérience, mais par contre il doit être en mesure de vous informer du sens de ces mots et de quelle expérience relève ce sens. L’expérience ne dépend que de vous, de votre effort approprié (juste) dans l’écoute, la réflexion et la méditation. Si l’expérience pouvait être transmise de quelqu’un d’autre soyez certain que les bouddhas nous l’aurait déjà transmis. Pas même un Bouddha ne peut transplanter dans notre esprit l’expérience de l’Éveil. De même, si nous pouvions transmettre à un colérique l’expérience que nous avons de l’amour, nous le ferions spontanément et il n’y aurait plus de haine sur notre planète. (voir le site de Lama Tsultrim Namdak : http://hridayartha.blogspot.fr/2010/11/sur-le-role-du-guru.html).

Ngo Treu de Lama Shérab Namdreul
Laisse aux apparences le sens d’apparaître
Laisse à l’esprit le soin de connaître
Sans production, reste en cette loisible évidence

Les apparences ne sont  ni réelles ni irréelles. Elles apparaissent en dépendance (tib. Shen Gui Ouang).
Les apparences n’illusionnent pas. Elles sont base d’imagination (tib. Kun Tak pa).
Les apparences ne sont pas illusoires. Elles sont manifestes (tib. Yong sou Droub).

Comment en arriver à être à même l’esprit ? L’esprit n’est que soi-même et c’est lui qui énonce l’idée de soi-même. On est dans la situation de vouloir voir la pupille qui est en train de voir. On est dans la situation d’être l’océan et l’on voudrait voir l’océan. Nous n’avons pas de recul possible, la connaissance ne pouvant être l’objet d’elle-même. Cet état de fait est ce qu’on appelle la connaissance auto-illuminante. C’est-à-dire que la connaissance (tib. Rik pa) n’est pas déclenchée par un objet qui vient à elle. Cette connaissance, Rikpa, n’est rien d’autre que la nature de bouddha.
Alors, comment en arriver à être à même l’esprit ? En captant l’émergence d’une pensée comme on capterait l’émergence d’une vague venant à la surface de l’océan.
Puisqu’il n’y a pas de connu qui ne soit pas conçu, on sera à même soi-même (enstase), donc en la connaissance. C’est la phase la plus fastidieuse, mais une fois « intérieur » il n’y a plus qu’à demeurer. Cette enstase, qui peut être associé à Samatha, nécessite une concentration déterminée.  Si nous sommes une personne bien disposée avec un esprit sans malice et perturbation, la concentration est plus facile. La concentration est aussi facilitée par l’accumulation de mérite. Pour cela, on pratique les vertus et leurs paramitas. On rend hommage, on confesse et on fait offrande aux Trois Joyaux et aux Trois Racines.
Une fois à même l’esprit, à même son propre cœur (sct. Citta), il suffit de demeurer. Cela ne nécessite plus d’effort de concentration mais une intelligence de la détente et de la souplesse. Cette intelligence s’acquiert par l’étude et la pratique elle-même de la méditation, ce qui constitue l’accumulation de sagesse. Notre médiation sera encouragée par des compréhensions, des expériences et des intégrations.
Un des cinq traités d’Asanga inspiré de son maître Maitreya-natha enseigne quatre pratiques (tib. Djor oua, sct. Prayoga) qui donnent graduellement accès à la sagesse (Sct. Jñāna, tib Yéshé) de l'inconditionné. Le traité en question est le Discernement entre les attributs et la substance des attributs (Sct. Dharma-dharmatā-vibhaṅga). La progression y est enseignée de la façon suivante :

    1. Pratique en s'appuyant sur un objet
    2. Pratique sans s'appuyer sur un objet
    3. Pratique sans s'appuyer sur un sujet
    4. Pratique s'appuyant sur l'absence d'appui

Cette progression en quatre étapes est précisée dans Le Discernement entre le Milieu et les extrêmes (S. Madhyānta-vibhaṅga) dans un passage que cite le 3e Karmapa dans ses Instructions sur l'union  du Mahāmoudrā et Sahaja.

    "C'est en s'appuyant sur un objet (Sct. ālambana)
    Que l'absence d'appui se développe le mieux.
    En s'appuyant sur l'absence d'appui
    L'absence d'appui se développe le mieux
    De ce fait, c'est l'absence d'appui qui accomplit l'essentiel.
    Ainsi, il faut savoir que l'appui et l'absence d'appui sont identiques par nature."

C'est ce qui est écrit dans le Madhyānta Vibhanga. Ainsi, afin de contrôler la conscience, on la recueille sur, par exemple, la forme d'un objet et quand les six consciences (5 sensorielles plus la mentale) convergent en un point, la pensée, ne se portant sur aucun autre objet, s'apaise entièrement (Sct. upaśama). De cette manière, [l'objet] s’établit  comme inconditionné (l'absence d'appui). Ce support d'attention (T. dmigs pa) en l’un des six objets [sensoriels et mental] se révèle naturellement lucide et vide, si on le contemple passivement (Tib. yid la mi djé pa, Sct. amaniskāra). Enfin sans produire des caractéristiques de dissentiment ou d'antidotes, ni produire quelque concept que ce soit, on fixe l'espace en face de nous de nos deux yeux. Sans bouger le corps, la respiration va et vient et l'on reste à l'aise et détendu. On ne dit mot."

 

 

Complément
La transmission du cœur de Lama Shérab Namdreul

Méditation

Chant de l’immédiateté native relatif au Ngo Treu

Laisse aux apparences le sens d’apparaître
Il n’y a pas de connu qui ne soit pas conçu.
C’est par la saisie d’une altérité en l’apparence
Que vient le sentiment d’une identité
Qui elle-même n’est qu’altérité.
En cessant toute imputation
On demeure en la dialectique immédiate
De l’apparence et de la connaissance
Dynamique de la clarté-vacuité
Vive présence invulnérable.
À aucun moment l’esprit ne s’illusionne sur sa propre nature,
Sinon comment et quand pourrait-on demeurer en sa nature ?

Laisse à l’esprit le soin de connaître;
Rien n’étant l’esprit
Il ne s’est jamais illusionné de quoi que ce soit à son sujet.
En cela, la vacuité est savoir.
Toutes les fatigues et les peines de toutes les vies sont illusions.
En cela, la vacuité est compassion.
Toutes les apparences n’ont que le sens d’apparaître.
En cela, la vacuité est clarté
Toutes facultés s’exaucent d’elles-mêmes sans soif.
En cela, la vacuité est félicité.
Tous les êtres procèdent du Tathagata.
En cela, la vacuité est équanimité.

Sans production, reste en cette loisible évidence;
Aucun courage particulier n’est nécessaire.
Une nausée du samsara et de l’illusion,
Une ferme résolution à l’éveil
Un dévouement total à l’application des instructions du lama et de la lignée
Et puis se poser là, une fois pour toute,
Une fois seulement, précis, incisif, sans tergiverser,
Capter l’immédiateté native
En cet instant de tout abandon.
Enfin demeurer en l’infini.

Post méditation

S’il n’y a pas d’expériences, ne perdez pas courage. Ne cédez pas à l’espoir-crainte. Gardez à l’esprit la chance de pratiquer le Dharma et ses enseignements les plus ultimes. Faites des souhaits pour les vies futures de ne jamais être séparé du Dharma et de rencontrer des Lamas. Dans les activités et les relations quotidiennes, gardez un comportement simple et humble. Ne parlez pas de votre pratique. Développez les Paramitas et les Bodhicittas
S’il y a expérience, ne cédez pas à l’espoir-crainte non plus mais gagnez en confiance et persévérance. Renforcez la Vue sur les imputations et les apparences. Elles n’ont pas l’existence qu’on leur donne et cette saisie n’est qu’un discours continu sans fondement.

Exercices complémentaires

1) Méthodes avec les souffles
2) Méthodes avec visualisation
3) Méthodes sans visualisation
4) Exercices de Kum Nyé et Yantra

Les quatre yogas

Lama Shérab propose, conjointement aux quatre yogas, une progression de facteurs d’éveil pour faciliter la stabilité mentale et le samadhi vajra du Sahaja-mahamoudra. Il faut se familiariser avec ces idées puis les appréhender en notre conscience puis s’habituer à les générer pour qu’ils deviennent des attitudes d’esprit spontanées et se révèlent finalement des qualités inhérentes à notre être quand on devient stable et détendu.

Tsé Tchik : Le premier yoga du Mahamoudra

Ne cherchant aucun objet,
La Pensée (sct. Citta) est lumineuse.
La lumière est l’os du vrai.

1) Renoncer aux huit préoccupations mondaines
2) Renoncer à l’espoir-crainte
3) Renoncer à l’indolence
4) Renoncer à la distraction
5) Obtenir la liberté

1) Développer la compassion pour les êtres
2) Développer la gratitude pour le Lama de la lignée
3) Développer le dévouement pour ses instructions
4) Développer la vue de la vacuité
5) Obtenir la résolution

1) Générer le Refuge
2) Générer la Bodhicitta
3) Générer la concentration
4) Générer l’enstase
5) Obtenir l’équanimité         

1) Maintenir la confiance
2) Maintenir la patience
3) Maintenir l’effort
4) Maintenir l’enthousiasme
5) Obtenir l’intelligence

1) Déployer l’aisance
2) Déployer la clarté
3) Déployer le discernement
4) Déployer l’abandon
5) Obtenir l’assurance

1) Renforcer la justesse
2) Renforcer la vue
3) Renforcer la détente
4) Renforcer l’acuité
5) Obtenir la prajna

1) Exécuter le doute
2) Exécuter l’espoir
3) Exécuter la saisie
4) Exécuter l’observateur
5) Obtenir le yoga ponctuel (tib. Tsé Tchik)

Treu Mé: Le deuxième yoga du Mahamoudra

Pure évidence de n’être pas pensée
La Pensée est savoir.

1) Reconnaître la spontanéité (Lun gyi Droub)
2) Reconnaître le souhait (Meunlam)
3) Reconnaître la simultanéité (Tab Shé)

Ro Tchik : Le troisième yoga du Mahamoudra

Les apparences ont la seule saveur d’apparaître,
Il n’est rien d’autre à savoir.

1) Exauce l’intelligence active
2) Exauce le joyau inné

Gom Mé: Le quatrième yoga du Mahamoudra

Ne s’élevant pas pensée, il n’est pas de méditation.

Expérience numineuse

Corps de nuit dans la nuit d’un charnier,
Je détiens le Moudra incomparable.
Dans le dépouillement complet,
Je m’en remets à l’influx indicible.

 « Corps de nuit dans la nuit d’un charnier ». Contenant (la nuit) et contenu (le corps) viennent à se confondre.

« Ne cherchant aucun objet ». Cette cavité qui semble nouer le cœur, il faut la percer à jour avec le meilleur des remèdes qu’est l’absence de discrimination.

« La lumière est l’os du vrai ». Quand on est prêt à prendre en charge les souffrances des êtres, toutes nos blessures et nos peurs s’embrasent d’un coup. C'est la voie de la Libération.

« La Pensée est savoir ». Quand on se place en ce cœur comme un havre de bonté, la compassion pour les êtres nous inonde. C'est la voie de l'Émancipation.

« Ne s’élevant pas pensée, il n’est pas de méditation ». Quand on s’y abandonne comme mourir à soi, on accède à l’espace de la Dakini de Sagesse qui nous révèle être le Dharmakaya Détenteur vajra (sct. Vajradhara). C'est l'accès à l'Éveil.

Pour le yogi (yogini), ce cœur est les tripes de l’esprit et la chair fait charnière entre l’os et l’âme. En le dépouillement du charnier se fait la transfiguration car la charité de la chair est Nirmanakaya. C’est l’application des Activités.
Dharmakaya et Nirmanakaya étant compatible, le yogi use du fruit en le Sambhogakaya se délectant du nectar des cinq viandes et liquides. C’est la Félicité.

La vacuité est le siège de toutes les peurs mais aussi de toutes les libérations. L’expérience valide de la nature de l’esprit est accompagnée d’une confirmation, d’un acquiescement (numen) qui signifie d’être arrivé au-delà des peurs et des doutes. On retrouve ce numen par le moudra de la terre prise à témoin que fait Sakyamouni prenant ainsi l’attitude « Akshobya », inébranlable.
Dans certains tantras, il nous ait proposé de visualiser un Bouddha nous prophétiser ou confirmer notre Éveil. Dans Mandala Tantra, à la fin des récitations de mantras nous développons la certitude par exemple, d’être un Vidhyadhara. Ce sont des méthodes de Kyé Rim pour établir une connexion. Cependant, l’expérience numineuse en soi ne se visualise pas. Elle s’opère spontanément.
Le numen est spontané, mais cela ne veut pas dire que l’apparition détient une autonomie. Il ne s’agit pas de saisir le numen comme une réalité objective, une altérité. Le numen procède de la nature de notre propre esprit et s’aspecte des qualités inhérentes à l’esprit. L’effort de contemplation culmine dans l'expérience des différentes modalités de la présence dévoilée de notre bouddhéité. La contemplation est un effort imaginal dans la sphère du Sambhogakaya qui est une sphère « épiphanique* » de notre bouddhéité. Il y a numen quand le yogi s’établit en l’union de clarté vacuité.
En réalisant la vacuité on réalise la luminosité de l’esprit. On ne réalise pas en soi une vacuité, mais on se dégage d’une saisie erronée qui libère la luminosité naturel de la sapience. Le « Savoir se sait savoir », c’est en cela sa luminosité non-obstruée. Cette luminosité s’accompagne donc de confirmation, d’un numen inhérente à la sapience même.
Plusieurs numen sont possibles.
Le numen formel, le numen verbal, le numen mental.
- Le numen formel
L’aspect corporel du Yidam ou d'attributs ou la modification de son moudra. L'aspect radical du Yidam, les tiglés primordiaux des cinq sagesses
- Le numen verbal
Entendre des mots de notre Yidam qui confirme, enseigne ou prophétise.
- Le numen mental
C’est le numen du sens qui est accompagné de la certitude qui n’a rien à voir avec l’autosuggestion.

La frontière entre « vision épiphanique » et hallucination est mince. La vision épiphanique signifie le succès (sct. Siddhi) de la phase de génération (tib. Kyé Rim) et de la métaphore. Elle fait suite à un effort conscient qui garde tout son discernement tout au long de la contemplation. Au moment de l’apparition, le yogi reconnaît la co-émergence de la clarté-vide. Autrement dit, le méditant garde toute sa raison et sa sobriété. L’expérience ne relève pas de la surprise, on n’en est pas dépossédée. L’expérience est évidente et certifiante (sct. Siddha, tib. Ngeu Droub).
Maintenant le numen reste une expérience qui doit être reconnu de la nature de la vacuité. C’est cela qui  constitue la Suprême Félicité.

 

 

* Du grec ancien Ἐπιφάνεια (Epiphaneia) qui signifie « manifestation » ou « apparition », dérivé du verbe ἐπιφαίνω (epifainô) « faire voir, montrer », constitué des éléments:

    * épi-, du grec ancien ἐπί- de ἐπί (epi) « sur, par dessus, au-dessus » et
    * -phanie, du verbe grec ancien φαίνω (phaínô) « se manifester, apparaître, être évident ».